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mercredi 15 juin 2016

L'attentat d'Emile Henry au café Terminus

Le 12 Février 1894, une bombe explose dans le café Terminus (situé Gare Saint-Lazare) faisant 20 blessés.


Que s'est-il passé ?

Après la Commune de Paris, la ville est encore secouée.
L'entrée de la France dans l'ère industrielle permet à la vie de suivre son court.

Les parisiens se laissent emporter par un engouement pour les nouvelles techniques ; pourtant, tous les problèmes ne sont pas résolus... Rappelons que c'est l'époque de l'exode rurale (la main d'oeuvre agricole est remplacée par des machines,...) provoquant l'arrivée massive de population dans les milieux urbains. Le climat est lourd, de nombreuses lettres de menaces sont envoyées aux dirigeants, aux magistrats, aux religieux.

Je vous présente l'une de ces figures menaçantes de cette fin de siècle. Il s'appelle Emile Henry, fils de communard. C'est un jeune homme de 21 ans, intelligent et révolté.


Ce brillant étudiant, tout juste déclaré comme admissible à l'Ecole Polytechnique, est considéré comme un anarchiste.

Le 12 Février 1892, il pousse la porte du café Terminus et s'assoit.

Le café est assez chic. Il fait partie du Grand Hôtel Terminus (actuel Hilton hôtel Opéra à côté de la gare Saint-Lazare) inauguré en 1889 dans le but d'accueillir les voyageurs britanniques qui arrivaient par cette gare pour se rendre à l'Exposition Universelle de 1889.

La musique va bon train, c'est un endroit plutôt agréable. L'endroit offre la possibilité d'assister à un concert tout en se désaltérant.

Pourtant, quelques instants après s'être installé, Emile Henry fouille dans sa poche et en sort une boîte de conserve qu'il lance en direction des musiciens.

C'est en fait une bombe qui explose en pleine lancée. Il est neuf heures précise, l'explosion pulvérise les glaces, brise trois tables en marbre. Une vingtaine de personnes sont blessées...

Emile Henry prend la fuite immédiatement. Il est poursuivi par deux hommes, un garçon de café et un policier. Il est intercepté non loin de là, rue de l'Isly.



Le 27 Avril a lieu son procès.

Voici quelques explications qu'Emile Henry fourni à la justice lors de son procès :

"Les débats vous ont montré que je me reconnais l’auteur responsable de ces actes.
Ce n’est pas une défense que je veux vous présenter. [...] je ne relève que d’un seul Tribunal, moi-même [...].

Je suis anarchiste depuis peu de temps. Ce n’est guère que vers le milieu de l’année 1891 que je me suis lancé dans le mouvement révolutionnaire. Auparavant, j’avais vécu dans des milieux totalement imbus de la morale actuelle. J’avais été habitué à respecter et même à aimer les principes de patrie, de famille, d’autorité et de propriété. Mais les éducateurs de la génération actuelle oublient trop fréquemment une chose, c’est que la vie, avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices et ses iniquités, se charge bien, l’indiscrète, de dessiller les yeux des ignorants et de les ouvrir à la réalité. C’est ce qui m’arriva, comme il arrive à tous. On m’avait dit que cette vie était facile et largement ouverte aux intelligents et aux énergiques, et l’expérience me montra que seuls les cyniques et les rampants peuvent se faire une place au banquet. On m’avait dit que les institutions sociales étaient basées sur la justice et l’égalité, et je ne constatais autour de moi que mensonges et fourberies. Chaque jour m’enlevait une illusion. Partout où j’allais, j’étais témoin des mêmes douleurs chez les uns, des mêmes jouissances chez les autres. [...] Tout ce que je vis me révolta, et mon esprit s’attacha à la critique de l’organisation sociale.  [...] Il me suffira de dire que je devins l’ennemi d’une société que je jugeais criminelle.

 [...] 

Quelle était alors la nouvelle morale en harmonie avec les lois de la nature qui devait régénérer le vieux monde et enfanter une humanité heureuse ?
C’est à ce moment que je fus mis en relation avec quelques compagnons anarchistes, qu’aujourd’hui je considère encore comme les meilleurs que j’ai connu. Le caractère de ces hommes me séduisit tout d’abord. J’appréciais en eux une grande sincérité, une franchise absolue, un mépris profond de tous les préjugés, et je voulus connaître l’idée qui faisait des hommes si différents de tous ceux que j’avais vu jusque-là.  [...] Je devins à mon tour anarchiste.  [...] En ce moment de lutte aiguë entre la bourgeoisie et ses ennemis, je suis presque tenté de dire avec le Souvarine de Germinal : « Tous les raisonnements sur l’avenir sont criminels, parce qu’ils empêchent la destruction pure et simple et entravent la marche de la révolution. »
 [...] J’ai voulu frapper aussi fort et aussi juste que je le pouvais. 

[...] 

L’anarchiste n’était plus un homme, c’était une bête fauve que l’on traquait de toutes parts et dont toute la presse bourgeoise, esclave vile de la force, demandait sur tous les tons l’extermination. En même temps, les journaux et les brochures libertaires étaient saisis, le droit de réunion était prohibé. Mieux que cela : lorsqu’on voulait se débarrasser complètement d’un compagnon, un mouchard déposait le soir dans sa chambre un paquet contenant du tanin, disait-il, et le lendemain une perquisition avait lieu, d’après un ordre daté de l’avant-veille. On trouvait une boîte pleine de poudres suspectes, le camarade passait en jugement et récoltait 3 ans de prison.  [...] Ce n’était pas encore assez. On avait condamné à mort un homme qui n’avait tué personne, il fallait paraître courageux jusqu’au bout : on le guillotine un beau matin. 

[...]

La bombe du café Terminus est la réponse à toutes vos violations de la liberté, à vos arrestations, à vos perquisitions, à vos lois sur la presse, à vos expulsions en masse d’étrangers, à vos guillotinades. Mais pourquoi, direz-vous, aller s’attaquer à des consommateurs paisibles, qui écoutent de la musique et qui, peut-être, ne sont ni magistrats, ni députés, ni fonctionnaires ? Pourquoi ? C’est bien simple. La bourgeoisie n’a fait qu’un bloc des anarchistes. Un seul homme, Vaillant, avait lancé une bombe ; les neuf dixièmes des compagnons ne le connaissaient même pas. Cela n’y fit rien. On persécuta en masse. Tout ce qui avait quelque relation anarchiste fut traqué. Eh bien ! Puisque vous rendez ainsi tout un parti responsable des actes d’un seul homme, et que vous frappez en bloc, nous aussi, nous frappons en bloc. Devons-nous seulement nous attaquer aux députés qui font les lois contre nous, aux magistrats qui appliquent ces lois, aux policiers qui nous arrêtent ? Je ne pense pas. 

Tous les hommes ne sont que des instruments n’agissant pas en leur propre nom, leurs fonctions ont été instituées par la bourgeoisie pour sa défense ; ils ne sont pas plus coupables que les autres. Les bons bourgeois qui, sans être revêtus d’aucunes fonctions, touchent cependant les coupons de leurs obligations, qui vivent oisifs des bénéfices produits par le travail des ouvriers, ceux-là aussi doivent avoir leur part de représailles. Et non seulement eux, mais encore tous ceux qui sont satisfaits de l’ordre actuel, qui applaudissent aux actes du gouvernement et se font ses complices, ces employés à 300 et à 500 francs par mois qui haïssent le peuple plus encore que le gros bourgeois, cette masse bête et prétentieuse qui se range toujours du côté du plus fort, clientèle ordinaire du Terminus et autres grands cafés. Voilà pourquoi j’ai frappé dans le tas, sans choisir mes victimes. Il faut que la bourgeoisie comprenne que ceux qui ont souffert sont enfin las de leurs souffrances ; ils montrent les dents et frappent d’autant plus brutalement qu’on a été brutal avec eux. Ce n’est pas aux assassins qui ont fait la semaine sanglante et Fourmies de traiter les autres d’assassins. Ils n’épargnent ni femmes ni enfants bourgeois, parce que les femmes et les enfants de ceux qu’ils aiment ne sont pas épargnés non plus. Ne sont-ce pas des victimes innocentes que ces enfants qui, dans les faubourgs, se meurent lentement d’anémie, parce que le pain est rare à la maison ; ces femmes qui dans vos ateliers pâlissent et s’épuisent pour gagner quarante sous par jour, heureuses encore quand la misère ne les force pas à se prostituer ; ces vieillards dont vous avez fait des machines à produire toute leur vie, et que vous jetez à la voirie et à l’hôpital quand leurs forces sont exténuées ? Ayez au moins le courage de vos crimes, messieurs les bourgeois, et convenez que nos représailles sont grandement légitimes.

[...]

 Nous ne voulons ni gracier ni trébucher, et nous marcherons toujours en avant jusqu’à ce que la révolution, but de nos efforts, vienne enfin couronner notre œuvre en faisant le monde libre. Dans cette guerre sans pitié que nous avons déclarée à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune pitié. Nous donnons la mort, nous saurons la subir. Aussi, c’est avec indifférence que j’attends votre verdict. Je sais que ma tête n’est pas la dernière que vous couperez ; d’autres tomberont encore, car les meurt-de-faim commencent à connaître le chemin de vos grands cafés et de vos grands restaurants Terminus et Foyot. Vous ajouterez d’autres noms à la liste sanglante de nos morts. Vous avez pendu à Chicago, décapité en Allemagne, garroté à Jerez, fusillé à Barcelone, guillotiné à Montbrison et à Paris, mais ce que vous ne pourrez jamais détruire, c’est l’anarchie. Ses racines sont trop profondes ; elle est née au sein d’une société pourrie qui se disloque, elle est une réaction violente contre l’ordre établi. Elle représente les aspirations qui viennent battre en brèche l’autorité actuelle, elle est partout, ce qui la rend insaisissable. Elle finira par vous tuer.

Voilà, messieurs les jurés, ce que j’avais à vous dire. Vous allez maintenant entendre mon avocat. Vos lois imposant à tout accusé un défenseur, ma famille a choisi Me Hornbostel. Mais ce qu’il pourra dire n’infirme en rien ce que j’ai dit. Mes déclarations sont l’expression exacte de ma pensée. Je m’y tiens intégralement."

Il fut condamné et exécuté le 21 Mai 1894, place de la Roquette.


George Clemenceau (député) est présent lors de son exécution. Pourtant d'accord dans le fait de condamner de tels actes (Emile Henry n'en était pas à son premier attentat), il était tout de même contre la peine de mort.

Il fit un récit accablant : 

"Je sens en moi l'inexprimable dégoût de cette tuerie administrative, faite sans conviction par des fonctionnaires corrects. [...] Le forfait d'Henry est d'un sauvage. L'acte de la société m'apparaît comme une basse vengeance."

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